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读物本·【英法读文】请以你的名字呼唤我 2
作者:清晨日暮
排行: 戏鲸榜NO.20+
【禁止转载】读物本 / 现代字数: 10615
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基本信息

创作来源转载作品
角色0男0女
作品简介

英语版 Call me by your name p.29 法语版 Appelle-moi par ton nom p.24

更新时间

首发时间2024-03-05 23:58:53
更新时间2024-03-06 09:49:24
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剧本正文

Call me by your name: André Aciman

The next day we were playing doubles, and during a break, as we were drinking Mafalda’s lemonades, he put his free arm around me and then gently squeezed his thumb and forefingers into my shoulder in imitation of a friendly hug-massage—the whole thing very chummy-chummy. But I was so spellbound that I wrenched myself free from his touch, because a moment longer and I would have slackened like one of those tiny wooden toys whose gimp-legged body collapses as soon as the mainsprings are touched. Taken aback, he apologized and asked if he had pressed a “nerve or something”—he hadn’t meant to hurt me. He must have felt thoroughly mortified if he suspected he had either hurt me or touched me the wrong way. The last thing I wanted was to discourage him. Still, I blurted something like, “It didn’t hurt,” and would have dropped the matter there. But I sensed that if it wasn’t pain that had prompted such a reaction, what other explanation could account for my shrugging him off so brusquely in front of my friends? So I mimicked the face of someone trying very hard, but failing, to smother a grimace of pain.

Le lendemain on joua au tennis en double et, pendant une pause, alors que nous sirotions les citronnades de Mafalda, il posa sa main libre sur mon épaule et la pétrit doucement, en un simulacre de massage amical. Le tout très copain- copain. Mais j’étais si subjugué que je me dérobai vivement à son emprise, parce qu’un moment plus tard je me serais ramolli comme un de ces petits pantins articulés dont le corps s’effondre dès qu’un ressort est touché. Surpris, il s’excusa et me demanda s’il avait pressé « un nerf ou quelque chose » – il n’avait pas voulu me faire mal. Il devait se sentir mortifié s’il pensait qu’il m’avait fait mal ou touché d’une manière gênante pour moi. La dernière chose que je voulais, c’était le décourager. Je bredouillai quelque chose comme « Ça ne m’a pas fait mal », et j’en serais resté là, mais si ce n’était pas la douleur qui avait provoqué une telle réaction, qu’est-ce qui pouvait expliquer que je m’étais écarté si brusquement de lui devant mes amis ? Alors j’adoptai l’expression de quelqu’un qui s’efforce, vainement, de cacher une grimace de douleur.

It never occurred to me that what had totally panicked me when he touched me was exactly what startles virgins on being touched for the first time by the person they desire: he stirs nerves in them they never knew existed and that produce far, far more disturbing pleasures than they are used to on their own.

He still seemed surprised by my reaction but gave every sign of believing in, as I of concealing, the pain around my shoulder. It was his way of letting me off the hook and of pretending he wasn’t in the least bit aware of any nuance in my reaction. Knowing, as I later came to learn, how thoroughly trenchant was his ability to sort contradictory signals, I have no doubt that he must have already suspected something. “Here, let me make it better.” He was testing me and proceeded to massage my shoulder. “Relax,” he said in front of the others. “But I am relaxing.” “You’re as stiff as this bench. Feel this,” he said to Marzia, one of the girls closest to us. “It’s all knots.” I felt her hands on my back. “Here,” he ordered, pressing her flattened palm hard against my back. “Feel it? He should relax more,” he said. “You should relax more,” she repeated.

Il ne me vint pas à l’idée que ce qui m’avait affolé quand il m’avait touché était exactement ce qui trouble les vierges lorsqu’elles sont touchées pour la première fois par l’homme tant désiré : il déclenche en elles des sensations et des plaisirs inconnus et bien plus troublants que ceux qu’elles sont habituées à éprouver seules.

Il semblait encore surpris par ma réaction, mais avait tout l’air de croire à la douleur que je simulais. C’était sa façon de me venir en aide, en feignant d’ignorer les autres raisons expliquant ma réaction. Sachant (comme j’en vins plus tard à le découvrir) comme il était habile à démêler des signaux contradictoires, je ne doute pas qu’il avait déjà soupçonné quelque chose. « Laisse-moi arranger ça... » Il palpa prudemment mon épaule, puis se mit à la masser pour de bon. « Détends-toi, dit-il devant les autres. – Mais je suis détendu. – Tu es aussi raide que ce banc. Touche un peu pour voir, dit-il à Marzia, la fille qui était le plus près de nous. Il est tout noué. » Je sentis les doigts de Marzia sur mon épaule. « Ici, ordonna-t-il en pressant fort la paume de la fille contre mon dos. Tu le sens ? Il devrait se détendre un peu », ajouta-t-il. « Tu devrais te détendre un peu », répéta-t-elle.

Perhaps, in this, as with everything else, because I didn’t know how to speak in code, I didn’t know how to speak at all. I felt like a deaf and dumb person who can’t even use sign language. I stammered all manner of things so as not to speak my mind. That was the extent of my code. So long as I had breath to put words in my mouth, I could more or less carry it off. Otherwise, the silence between us would probably give me away—which was why anything, even the most spluttered nonsense, was preferable to silence. Silence would expose me. But what was certain to expose me even more was my struggle to overcome it in front of others.

The despair aimed at myself must have given my features something bordering on impatience and unspoken rage. That he might have mistaken these as aimed at him never crossed my mind.

Peut-être, en ceci, comme avec tout le reste, parce que je ne savais pas parler en code, ne savais-je pas parler du tout... J’avais l’impression d’être un sourd- muet qui ne peut même pas s’exprimer par signes. Je balbutiais toutes sortes de choses pour ne pas dire ce que je pensais. C’était mon seul code. Tant que j’aurais assez de souffle pour prononcer quelques paroles, je pourrais m’en tirer. Sinon, le silence entre nous me trahirait sans doute – c’était pourquoi tout, même le non-sens le plus bafouillé, était préférable au silence. Oui, le silence me trahirait. Mais ce qui me trahissait sûrement encore plus, c’était l’effort que je faisais pour surmonter mon mutisme devant les autres.

Ma colère désespérée contre moi-même devait me donner un air d’impatience teintée de rage muette. Qu’il ait pu croire que celles-ci étaient dirigées contre lui ne m’a jamais traversé l’esprit.

Maybe it was for similar reasons that I would look away each time he looked at me: to conceal the strain on my timidity. That he might have found my avoidance offensive and retaliated with a hostile glance from time to time never crossed my mind either.

What I hoped he hadn’t noticed in my overreaction to his grip was something else. Before shirking off his arm, I knew I had yielded to his hand and had almost leaned into it, as if to say—as I’d heard adults so often say when someone happened to massage their shoulders while passing behind them—Don’t stop. Had he noticed I was ready not just to yield but to mold into his body?

This was the feeling I took to my diary that night as well: I called it the “swoon.” Why had I swooned? And could it happen so easily—just let him touch me somewhere and I’d totally go limp and will-less? Was this what people meant by butter melting?

Peut-être était-ce pour des raisons semblables que je détournais les yeux chaque fois qu’il me regardait : pour cacher que j’en étais intimidé. Qu’il ait pu trouver cela vexant et ait riposté en me lançant un regard hostile de temps à autre ne m’a jamais traversé l’esprit non plus.

Mais c’était autre chose que j’espérais qu’il n’avait pas remarqué dans ma réaction excessive à son geste amical. Je savais qu’avant de me soustraire à l’emprise de ses doigts sur mon épaule, je m’y étais presque abandonné, comme pour dire (j’avais si souvent entendu des adultes le dire quand quelqu’un leur massait un instant les épaules en passant derrière eux) : « N’arrête pas. » Avait-il remarqué que j’étais prêt non seulement à m’abandonner, mais à fondre dans ses bras ?

C’est le sentiment que je consignai aussi dans les pages de mon journal ce soir-là : je l’appelai « la pâmoison ». Pourquoi m’étais-je ainsi pâmé ? Et cela peut-il arriver aussi facilement, pensai-je – suffit-il qu’il me touche pour que je sois soudain dénué de toute énergie et de toute volonté ? Est-ce ce que les gens veulent dire par « fondre comme du beurre » ?

And why wouldn’t I show him how like butter I was? Because I was afraid of what might happen then? Or was I afraid he would have laughed at me, told everyone, or ignored the whole thing on the pretext I was too young to know what I was doing? Or was it because if he so much as suspected—and anyone who suspected would of necessity be on the same wavelength—he might be tempted to act on it? Did I want him to act? Or would I prefer a lifetime of longing provided we both kept this little Ping- Pong game going: not knowing, not-not knowing, not-not-not knowing? Just be quiet, say nothing, and if you can’t say “yes,” don’t say “no,” say “later.” Is this why people say “maybe” when they mean “yes,” but hope you’ll think it’s “no” when all they really mean is, Please, just ask me once more, and once more after that?

Et pourquoi ne lui montrerais-je pas à quel point j’étais en effet comme du beurre ? Parce que j’avais peur de ce qui pourrait arriver alors, craignais qu’il ne se moque de moi, raconte ça à tout le monde, ou n’y prête aucune attention sous prétexte que j’étais trop jeune pour savoir ce que je faisais ? Ou parce que s’il soupçonnait quelque chose – et quiconque soupçonnerait quelque chose serait forcément sur la même longueur d’onde –, il pourrait être tenté d’agir en conséquence ? Est-ce que je le voulais ? Ou préférerais-je une vie entière de désir inassouvi dès lors que nous continuerions indéfiniment ce petit jeu de ping- pong : ne pas savoir, ne pas-ne pas savoir, ne pas-ne pas-ne pas savoir ? Motus, ne rien dire, et si vous ne pouvez pas dire « oui », ne dites pas « non », dites « plus tard ». Est-ce pourquoi les gens disent « peut-être » quand ils veulent dire « oui », en espérant que vous penserez que c’est « non » alors qu’en réalité ils veulent dire : S’il te plaît, demande-moi encore, et encore ?

I look back to that summer and can’t believe that despite every one of my efforts to live with the “fire” and the “swoon,” life still granted wonderful moments. Italy. Summer. The noise of the cicadas in the early afternoon. My room. His room. Our balcony that shut the whole world out. The soft wind trailing exhalations from our garden up the stairs to my bedroom. The summer I learned to love fishing. Because he did. To love jogging. Because he did. To love octopus, Heraclitus, Tristan. The summer I’d hear a bird sing, smell a plant, or feel the mist rise from under my feet on warm sunny days and, because my senses were always on alert, would automatically find them rushing to him.

Je repense à cet été-là et n’en reviens pas que, malgré tous mes efforts pour vivre avec le « feu » et la « pâmoison », la vie m’eût encore offert des moments merveilleux. L’Italie. L’été. Le chant des cigales l’après-midi. Ma chambre. Sa chambre. Notre balcon qui nous isolait du monde entier. La douce brise qui apportait les parfums de notre jardin jusqu’à ma chambre à l’étage. C’est l’été où j’appris à aimer pêcher. Parce qu’il aimait ça. À aimer faire du jogging. Parce qu’il aimait ça. À aimer le poulpe, Héraclite, Tristan. L’été où, écoutant un oiseau chanter, humant l’arôme d’une fleur, ou sentant la chaleur monter du sol sous un soleil ardent, parce que mes sens étaient toujours en alerte, il me semblait qu’ils s’élançaient spontanément vers lui.

I could have denied so many things—that I longed to touch his knees and wrists when they glistened in the sun with that viscous sheen I’ve seen in so very few; that I loved how his white tennis shorts seemed perpetually stained by the color of clay, which, as the weeks wore on, became the color of his skin; that his hair, turning blonder every day, caught the sun before the sun was completely out in the morning; that his billowy blue shirt, becoming ever more billowy when he wore it on gusty days on the patio by the pool, promised to harbor a scent of skin and sweat that made me hard just thinking of it. All this I could have denied. And believed my denials.

J’aurais pu nier tant de choses – que j’avais très envie de toucher ses genoux et ses poignets lorsqu’ils luisaient au soleil avec ce lustre onctueux que j’ai vu chez si peu de gens ; que j’aimais que ses shorts blancs de tennis parussent perpétuellement tachés d’ocre, la couleur de sa peau au fil des semaines ; que j’adorais le reflet dans ses cheveux, chaque jour plus blonds, des premiers rayons de soleil avant même que l’astre ne fût complètement levé ; que sa chemise bleue bouffante, encore plus bouffante quand il la portait les jours venteux sur la terrasse près de la piscine, promît d’exhaler une odeur de peau et de sueur qui m’excitait rien que d’y penser. J’aurais pu nier tout cela. Et croire à mes dénégations.

But it was the gold necklace and the Star of David with a golden mezuzah on his neck that told me here was something more compelling than anything I wanted from him, for it bound us and reminded me that, while everything else conspired to make us the two most dissimilar beings, this at least transcended all differences. I saw his star almost immediately during his first day with us. And from that moment on I knew that what mystified me and made me want to seek out his friendship, without ever hoping to find ways to dislike him, was larger than anything either of us could ever want from the other, larger and therefore better than his soul, my body, or earth itself. Staring at his neck with its star and telltale amulet was like staring at something timeless, ancestral, immortal in me, in him, in both of us, begging to be rekindled and brought back from its millenary sleep.

What baffled me was that he didn’t seem to care or notice that I wore one too. Just as he probably didn’t care or notice each time my eyes wandered along his bathing suit and tried to make out the contour of what made us brothers in the desert.

Mais c’étaient le collier en or et l’étoile de David avec une mezuzah dorée sur son cou qui me disaient qu’il y avait quelque chose de plus puissant que tout ce que je désirais de lui, car cela nous liait et me rappelait que, si tout le reste conspirait à faire de nous les deux êtres les plus dissemblables, cela au moins transcendait toutes les différences. J’avais vu son étoile presque immédiatement après son arrivée chez nous, et dès lors j’avais su que ce qui m’intriguait et me poussait à rechercher son amitié, sans espoir de jamais trouver un moyen de le détester, était plus grand que tout ce que chacun pourrait jamais désirer de l’autre, plus grand et donc meilleur que son âme, mon corps, ou la terre elle- même. Regarder son cou avec son étoile et son amulette révélatrice était comme regarder quelque chose d’intemporel, d’ancestral, d’immortel en moi, en nous deux, implorant d’être ravivé et réveillé de son sommeil millénaire.

Ce qui me déconcertait, c’était qu’il ne semblait pas prêter attention au fait que j’en portais une aussi. Comme il ne prêtait sans doute aucune attention aux regards que je laissais errer du côté de son maillot de bain pour essayer de distinguer le contour de ce qui faisait de nous des frères dans le désert.

With the exception of my family, he was probably the only other Jew who had ever set foot in B. But unlike us he let you see it from the very start. We were not conspicuous Jews. We wore our Judaism as people do almost everywhere in the world: under the shirt, not hidden, but tucked away. “Jews of discretion,” to use my mother’s words. To see someone proclaim his Judaism on his neck as Oliver did when he grabbed one of our bikes and headed into town with his shirt wide open shocked us as much as it taught us we could do the same and get away with it. I tried imitating him a few times. But I was too self-conscious, like someone trying to feel natural while walking about naked in a locker room only to end up aroused by his own nakedness. In town, I tried flaunting my Judaism with the silent bluster that comes less from arrogance than from repressed shame. Not him. It’s not that he never thought about being Jewish or about the life of Jews in a Catholic country. Sometimes we spoke about just this topic during those long afternoons when both of us would put aside work and enjoy chatting while the entire household and guests had all drifted into every available bedroom to rest for a few hours. He had lived long enough in small towns in New England to know what it felt like to be the odd Jew out. But Judaism never troubled him the way it troubled me, nor was it the subject of an abiding, metaphysical discomfort with himself and the world. It did not even harbor the mystical, unspoken promise of redemptive brotherhood.

À l’exception de ma famille, il était probablement le seul Juif qui eût jamais mis les pieds à B. Mais contrairement à nous, il laissait d’emblée voir qu’il en était un. Nous n’étions pas des Juifs « voyants ». Nous portions notre judaïsme comme il est porté presque partout ailleurs dans le monde : sous la chemise, pas caché, mais à l’abri des regards. « Des Juifs discrets », comme disait ma mère. Voir quelqu’un afficher son judaïsme sur son cou comme Oliver le faisait lorsqu’il prenait un de nos vélos et allait en ville avec sa chemise grande ouverte nous choquait autant que cela nous enseignait que nous pourrions agir de même impunément. J’ai essayé de l’imiter quelquefois. Mais j’étais trop gêné, comme quelqu’un qui essaie de se sentir à l’aise en se promenant tout nu dans un vestiaire mais finit par être excité par sa propre nudité. En ville, j’essayais d’arborer mon judaïsme avec cet air bravache qui vient moins de l’arrogance que d’une gêne refoulée. Pas lui. Ce n’est pas qu’il ne pensait jamais à ce qu’il était ou à la vie des Juifs dans un pays catholique. Parfois nous en parlions, au cours de ces longs après-midi où nous mettions tous les deux notre travail de côté et prenions plaisir à bavarder après que la maisonnée et les invités s’étaient retirés dans toutes les chambres disponibles pour faire une longue sieste. Il avait vécu assez longtemps dans de petites villes de la Nouvelle-Angleterre pour savoir ce que ça faisait d’être le seul Juif du coin. Mais le judaïsme ne le troublait jamais comme il me troublait, ni n’était la cause d’un malaise métaphysique permanent entre lui-même et le monde ; il ne contenait même pas la promesse mystique, tacite, d’une fraternité rédemptrice.

And perhaps this was why he wasn’t ill at ease with being Jewish and didn’t constantly have to pick at it, the way children pick at scabs they wish would go away. He was okay with being Jewish. He was okay with himself, the way he was okay with his body, with his looks, with his antic backhand, with his choice of books, music, films, friends. He was okay with losing his prized Mont Blanc pen. “I can buy another one just like it.” He was okay with criticism too. He showed my father a few pages he was proud of having written. My father told him his insights into Heraclitus were brilliant but needed firming up, that he needed to accept the paradoxical nature of the philosopher’s thinking, not simply explain it away. He was okay with firming things up, he was okay with paradox. Back to the drawing board— he was okay with the drawing board as well. He invited my young aunt for a tête-à-tête midnight gita—spin—in our motorboat. She declined. That was okay. He tried again a few days later, was turned down again, and again made light of it. She too was okay with it, and, had she spent another week with us, would probably have been okay with going out to sea for a midnight gita that could easily have lasted till sunrise.

Peut-être était-ce pour cela qu’il n’était pas mal à l’aise avec sa judéité et ne ressentait pas le besoin d’y revenir constamment, comme les enfants essaient d’enlever la croûte d’une cicatrice qu’ils voudraient voir disparaître. Il était à l’aise avec le fait d’être juif. Il était à l’aise avec lui-même, comme il l’était avec son corps, avec son apparence physique, avec son revers de tennis bizarre, avec son choix de livres, cassettes, films, amis. Il ne se tracassait pas d’avoir perdu son précieux stylo Mont Blanc. « Je peux acheter le même. » Il était à l’aise aussi avec les critiques. Il montra à mon père quelques pages qu’il était fier d’avoir écrites. Mon père lui dit que ses idées sur Héraclite étaient brillantes mais avaient besoin d’être confortées, qu’il devait accepter la nature paradoxale de la pensée du philosophe, pas seulement la justifier. D’accord pour conforter, d’accord pour le paradoxe. Retour à la case départ – d’accord pour ça aussi. Il invita ma jeune tante à aller faire une balade nocturne en tête à tête dans notre bateau à moteur. Elle déclina l’invitation. Pas de problème. Il essaya encore quelques jours plus tard, sans plus de succès, et prit de nouveau la chose à la légère. Elle était tout aussi décontractée, et eût-elle passé une autre semaine avec nous qu’elle eût sans doute accepté l’idée d’une gita nocturne en mer qui aurait facilement pu durer jusqu’au lever du soleil.

Only once during his very first few days did I get a sense that this willful but accommodating, laid-back, water-over-my-back, unflappable, unfazed twenty-four-year-old who was so heedlessly okay with so many things in life was, in fact, a thoroughly alert, cold, sagacious judge of character and situations. Nothing he did or said was unpremeditated. He saw through everybody, but he saw through them precisely because the first thing he looked for in people was the very thing he had seen in himself and may not have wished others to see. He was, as my mother was scandalized to learn one day, a supreme poker player who’d escape into town at night twice a week or so to “play a few hands.” This was why, to our complete surprise, he had insisted on opening a bank account on the very day of his arrival. None of our residents had ever had a local bank account. Most didn’t have a penny.

Une fois seulement pendant ses tout premiers jours j’avais eu le sentiment que ce garçon de vingt-quatre ans résolu mais accommodant, détendu, désinvolte et placide, qui était si insouciant et à l’aise avec tant de choses dans la vie, était en réalité un juge de caractères et de situations particulièrement sagace. Rien de ce qu’il faisait ou disait n’était irréfléchi. Il perçait chacun à jour, mais justement parce que la première chose qu’il cherchait chez les autres était cela même qu’il avait vu en lui et ne souhaitait peut-être pas voir révélé. C’était, comme ma mère fut scandalisée de l’apprendre un jour, un excellent joueur de poker, qui s’éclipsait deux ou trois soirs par semaine pour aller « faire quelques parties » en ville. C’était pourquoi, à notre grande surprise, il avait tenu à ouvrir un compte en banque le jour de son arrivée. Aucun de nos jeunes hôtes n’avait jamais eu de compte à B. La plupart d’entre eux n’avaient pas le sou.

It had happened during a lunch when my father had invited a journalist who had dabbled in philosophy in his youth and wanted to show that, though he had never written about Heraclitus, he could still spar on any matter under the sun. He and Oliver didn’t hit it off. Afterward, my father had said, “A very witty man—damn clever too.” “Do you really think so, Pro?” Oliver interrupted, unaware that my father, while very easygoing himself, did not always like being contradicted, much less being called Pro, though he went along with both. “Yes, I do,” insisted my father. “Well, I’m not sure I agree at all. I find him arrogant, dull, flat-footed, and coarse. He uses humor and a lot of voice”—Oliver mimicked the man’s gravitas—“and broad gestures to nudge his audience because he is totally incapable of arguing a case. The voice thing is so over the top, Pro. People laugh at his humor not because he is funny but because he telegraphs his desire to be funny. His humor is nothing more than a way of winning over people he can’t persuade. “If you look at him when you’re speaking, he always looks away, he’s not listening, he’s just itching to say things he’s rehearsed while you were speaking and wants to say before he forgets them.”

C’était arrivé après un déjeuner auquel mon père avait invité un journaliste, philosophe amateur dans sa jeunesse, qui voulait montrer que, s’il n’avait jamais rien écrit sur Héraclite, il pouvait encore débattre sur n’importe quel sujet. Entre Oliver et lui le courant était mal passé. « Un homme très spirituel – et bigrement intelligent aussi », avait dit ensuite mon père. « Vous le pensez vraiment, Pro ? » avait répliqué Oliver, ignorant que mon père, quoique fort débonnaire par ailleurs, n’aimait pas toujours être contredit, et aimait encore moins être appelé « Pro », même s’il acceptait l’un et l’autre. « Oui, avait insisté mon père. – Eh bien, je ne suis pas sûr d’être d’accord... Je le trouve arrogant, ennuyeux, sans tact et fruste. Il se sert faute de mieux de l’humour et de la voix (Oliver avait imité le ton sentencieux de l’homme) et de grands gestes pour convaincre ses interlocuteurs parce qu’il est totalement incapable d’argumenter sérieusement. Le truc de la voix est tellement excessif, Pro. Les gens rient non parce qu’il est drôle, mais parce qu’il télégraphie son désir d’être drôle. Son humour n’est rien d’autre qu’une façon de séduire ceux qu’il ne peut convaincre. Quand on parle, on voit qu’il regarde toujours ailleurs, il n’écoute pas, il est impatient de dire à quoi il a pensé pendant qu’on parlait et veut le dire avant de l’oublier. »

How could anyone intuit the manner of someone’s thinking unless he himself was already familiar with this same mode of thinking? How could he perceive so many devious turns in others unless he had practiced them himself?

What struck me was not just his amazing gift for reading people, for rummaging inside them and digging out the precise configuration of their personality, but his ability to intuit things in exactly the way I myself might have intuited them. This, in the end, was what drew me to him with a compulsion that overrode desire or friendship or the allurements of a common religion. “How about catching a movie?” he blurted out one evening when we were all sitting together, as if he’d suddenly hit on a solution to what promised to be a dull night indoors. We had just left the dinner table where my father, as was his habit these days, had been urging me to try to go out with friends more often, especially in the evening. It bordered on a lecture. Oliver was still new with us and knew no one in town, so I must have seemed as good a movie partner as any. But he had asked his question in far too breezy and spontaneous a manner, as though he wanted me and everyone else in the living room to know that he was hardly invested in going to the movies and could just as readily stay home and go over his manuscript. The carefee inflection of his offer, however, was also a wink aimed at my father: he was only pretending to have come up with the idea; in fact, without letting me suspect it, he was picking up on my father’s advice at the dinner table and was offering to go for my benefit alone.

Comment pouvait-on deviner ainsi le mode de pensée de quelqu’un si l’on n’avait pas déjà soi-même une connaissance intime de ce mode de pensée ? Comment pouvait-il percevoir tant de subterfuges chez autrui s’il n’y avait pas eu recours lui-même ?

Ce qui me frappa, ce n’était pas seulement ce don étonnant qu’il avait de percer les gens à jour, de fouiller en eux et d’en extraire la configuration précise de leur personnalité, mais son aptitude à deviner les choses exactement comme j’aurais pu les deviner moi-même. Ce fut en définitive ce qui m’attira vers lui avec une force qui surpassait le désir ou l’amitié ou les attraits d’une religion commune. « Et si on allait voir un film ? » me dit-il tout à coup un soir où nous étions tous assis dans la salle de séjour, comme s’il venait de trouver subitement une solution à ce qui promettait d’être une ennuyeuse soirée à la maison. Nous venions de sortir de table ; pendant le dîner, mon père, selon son habitude, m’avait incité à essayer de sortir plus souvent avec des amis, surtout le soir ; cela frisait la réprimande. Oliver était encore un nouveau venu parmi nous et ne connaissait personne en ville, aussi devais-je lui sembler convenir autant qu’un autre pour aller au cinéma. Mais il avait posé sa question d’un air bien trop désinvolte et primesautier, comme s’il voulait que chacun sache qu’il ne tenait pas vraiment à aller au cinéma et pouvait tout aussi bien rester à la maison et continuer à réviser son manuscrit. Le ton insouciant de sa proposition, cependant, était aussi un clin d’œil à mon père : il feignait seulement d’avoir eu soudain cette idée ; en réalité, en s’arrangeant pour ne pas éveiller mes soupçons, il relayait le conseil de mon père à la table du dîner et me proposait d’y aller pour mon seul bénéfice.

I smiled, not at the offer, but at the double-edged maneuver. He immediately caught my smile. And having caught it, smiled back, almost in self-mockery, sensing that if he gave any sign of guessing I’d seen through his ruse he’d be confirming his guilt, but that refusing to own up to it, after I’d made clear I’d intercepted it, would indict him even more. So he smiled to confess he’d been caught but also to show he was a good enough sport to own up to it and still enjoy going to the movies together. The whole thing thrilled me.

Or perhaps his smile was his way of countering my reading tit for tat with the unstated suggestion that, much as he’d been caught trying to affect total casualness on the face of his offer, he too had found something to smile about in me—namely, the shrewd, devious, guilty pleasure I derived in finding so many imperceptible affinities between us. There may have been nothing there, and I might have invented the whole thing. But both of us knew what the other had seen. That evening, as we biked to the movie theater, I was—and I didn’t care to hide it—riding on air.

Je souris, non à cause de la proposition, mais de la manœuvre à double effet. Il remarqua aussitôt mon sourire. Et, l’ayant remarqué, il en esquissa un aussi, presque d’autodérision, sentant que, s’il laissait voir quoi que ce soit, il confirmerait sa culpabilité, mais que refuser de l’admettre l’incriminerait encore plus. Alors il souriait pour reconnaître qu’il avait été démasqué mais aussi pour montrer qu’il était assez beau joueur pour l’admettre et prendre encore plaisir à aller au cinéma avec moi. Tout cela me grisa.

Ou peut-être son sourire était-il sa manière de répliquer à ma perspicacité avec la suggestion informulée que, s’il s’était laissé surprendre à affecter la désinvolture, il avait aussi trouvé en moi quelque chose susceptible de provoquer le sourire – à savoir, le malin plaisir, retors et coupable, que je prenais à découvrir tant d’affinités imperceptibles entre nous. Il est possible que ce ne soit là que le produit de mon imagination. Mais nous savions tous les deux ce que l’autre avait vu. Ce soir-là, tandis que nous roulions à bicyclette vers la ville et le cinéma, j’étais – et je ne me souciais pas de le cacher – aux anges.

So, with so much insight, would he not have noticed the meaning behind my abrupt shrinking away from his hand? Not notice that I’d leaned into his grip? Not know that I didn’t want him to let go of me? Not sense that when he started massaging me, my inability to relax was my last refuge, my last defense, my last pretense, that I had by no means resisted, that mine was fake resistance, that I was incapable of resisting and would never want to resist, no matter what he did or asked me to do? Not know, as I sat on my bed that Sunday afternoon when no one was home except for the two of us and watched him enter my room and ask me why I wasn’t with the others at the beach, that if I refused to answer and simply shrugged my shoulders under his gaze, it was simply so as not to show that I couldn’t gather sufficient breath to speak, that if I so much as let out a sound it might be to utter a desperate confession or a sob—one or the other? Never, since childhood, had anyone brought me to such a pass.

Alors, avec tant d’intuition, il n’aurait pas perçu la signification de ma brusque dérobade quand il avait posé sa main sur mon épaule ? Pas remarqué que je m’étais d’abord abandonné à l’emprise de cette main ? Pas deviné que je ne voulais pas qu’il me lâche ? Pas senti que lorsqu’il avait commencé à me masser, mon inaptitude à me détendre était mon dernier refuge, ma dernière défense, ma dernière feinte, que je n’avais nullement résisté, que c’était une fausse résistance, que j’étais incapable de résister et ne voudrais jamais résister, quoi qu’il fît ou me demandât de faire ? Pas compris, ce dimanche après-midi où nous étions seuls dans la villa et où, étendu sur mon lit, je l’avais vu entrer dans ma chambre et me demander pourquoi je n’étais pas avec les autres à la plage, que si je refusais de répondre et haussais seulement les épaules sous son regard, c’était simplement pour ne pas montrer que le souffle me manquait pour parler, que si je laissais échapper un son ce serait pour bredouiller un aveu désespéré ou émettre un sanglot ? Jamais personne, depuis mon enfance, ne m’avait mis dans un tel embarras.

Bad allergy, I’d said. Me too, he replied. We probably have the same one. Again I shrugged my shoulders. He picked up my old teddy bear in one hand, turned its face toward him, and whispered something into its ear. Then, turning the teddy’s face to me and altering his voice, asked, “What’s wrong? You’re upset.” By then he must have noticed the bathing suit I was wearing. Was I wearing it lower than was decent? “Want to go for a swim?” he asked. “Later, maybe,” I said, echoing his word but also trying to say as little as possible before he’d spot I was out of breath. “Let’s go now.” He extended his hand to help me get up. I grabbed it and, turning on my side facing the wall away from him to prevent him from seeing me, I asked, “Must we?” This was the closest I would ever come to saying, Stay. Just stay with me. Let your hand travel wherever it wishes, take my suit off, take me, I won’t make a noise, won’t tell a soul, I’m hard and you know it, and if you won’t, I’ll take that hand of yours and slip it into my suit now and let you put as many fingers as you want inside me.

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